
L’avènement de la pisciculture moderne
Au début du XXe siècle, la compagnie des chemins de fer d’Orléans, propriétaire des lignes ferroviaires dont elle a quadrillé la Brenne, s’intéresse à la mise en valeur des étangs français et organise un voyage d’étude en Alsace (alors allemande). Monsieur Bonafé, Directeur des services agricoles de l’Indre et Monsieur Jean de Tarade, pisciculteur à Rosnay participent à ce déplacement. Quelques années avant la Guerre de 14, la Compagnie d’Orléans met effectivement en avant le potentiel logistique qu’offrent ses lignes de chemin de fer pour effectuer le transport de carpes vivantes en quantité. Le cadre et les conditions nécessaires au développement d’une pisciculture moderne étaient ainsi réunis. Des pays de l’Est de l’Europe (de l’Allemagne en particulier) et de leur savoir-faire supérieur viendront les solutions pour y parvenir. Envahis par la végétation, les étangs de Brenne sont nettoyés grâce à la mise en service dès 1913 du « bateau faucardeur » importé d’Allemagne. Dans l’entre-deux-guerres, les choses reprennent leur cours, le matériel devient plus léger et plus efficace. Le faucardage, selon Jean de Tarade, issu d’une grande famille de la noblesse locale, qui en est l’initiateur en Brenne, déclare qu’il a augmenté de 50% le rendement de ses étangs libérés de l’encombrement des joncs et des roseaux. C’est à cette époque qu’a été introduite la carpe miroir, herbivore, plus résistante au transport, et qui porte moins d’écailles sur le ventre, ce qui facilite sa transformation en filet (le filetage). C’est aussi dans le milieu des années 1930 que la Brenne commence à alimenter ponctuellement ses poissons avec des céréales, à amender l’eau des étangs avec des phosphates, de la chaux et des engrais lors des assecs, et par ailleurs parvient à mieux maîtriser les rempoissonnements d’une saison à l’autre. Ces pratiques qui améliorent progressivement le rendement des étangs, restent néanmoins extensives, par opposition à des pratiques déjà intensives à l’Est de l’Europe. Ainsi, la production passe de 50 kg/hectare (quantité proche d’une pêche de cueillette) à 150 kg/hectare annuel en moyenne. Depuis lors, le rendement moyen n’a pas beaucoup évolué, mais suite aux travaux de « nettoyage » des étangs, les surfaces en eau libre ont augmenté, et donc le rendement à l’hectare rapporté à la surface théorique de l’étang a suivi. On le voit, les innovations depuis le début du XXe siècle ont été multiples alors même qu’au moment des pêches, les traditions et les rituels changeaient peu au bord des étangs. Encore actuellement, on retrouve cette faculté d’évolution, lorsque les exploitants créent des abris pour les poissons qui s’y réfugient lors d’attaques d’oiseaux prédateurs estimés responsables d’une perte de production d’environ 20% (poissons blessés ou ingérés ; un cormoran mangerait jusqu’à 700 grammes de poisson par jour). De même, l’omniprésence et la multiplication de ces oiseaux dans la dernière décennie a modifié les pratiques d’empoissonnement. On a protégé les « fonds de pêche » (la production future de l’étang) par leur transfert dans des bassins en terre à proximité, protégés par des filets anti-prédateurs. Cela peut poser des difficultés à certaines petites exploitations qui doivent parfois avoir à créer des bassins. Le poisson en devenir y restera stocké tout le temps qui sera nécessaire au remplissage correct de l’étang. Ceci est un des exemples d’adaptation de la pisciculture. Pendant des siècles, les hommes de Brenne ont par leur travail contribué à forger le paysage de « La Brenne des Etangs » en le faisant évoluer au gré des nécessités. En créant et en entretenant les étangs et tout le réseau des fossés d’écoulement d’un étang à l’autre, ils en ont fait un site privilégié pour l’accueil d’une faune et d’une flore abondantes et singulières, même s’il faut admettre que les transformations entreprises depuis 1900 dans les champs comme dans les étangs ont été facteurs d’importantes évolutions du milieu naturel, plus encore ces dernières décennies. Conscients de la richesse du patrimoine qui leur a été légué par ceux qui les ont précédés, le défi que se sont donné les hommes des étangs de Brenne pour demain, tient à la recherche permanente d’un équilibre entre des méthodes raisonnables dont le rendement permet aux négociants pisciculteurs de vivre de leur activité et aux exploitants piscicoles de la maintenir, et ainsi d’assurer la préservation d’un patrimoine naturel riche et diversifié.