Gestion de l'eau
- La vidange La gestion de l’eau d’un étang est un « art ». A ce propos, il faut lire les travaux de Geneviève Bédoucha développés dans son ouvrage « Les liens de l’eau. - En Brenne une société autour de ses étangs ». Le producteur doit savoir utiliser au mieux l’eau reçue de l’amont (étang en amont ou prairies versantes avoisinantes), maîtriser les niveaux lors de fortes précipitations ou au contraire la stocker lors de périodes de sécheresse, vidanger au bon rythme (c’est « la mise en tire ») pour être prêt au bon moment pour pêcher et tendre les filets sans risque de laisser des poissons « passer », ou au contraire de les asphyxier par manque d’oxygène s’ils sont regroupés en grand nombre dans très peu d’eau, surtout s’il fait chaud. Chaque étang se vide dans un espace-temps différent (de quelques jours à quelques semaines) selon la surface, sa profondeur et le nombre de ses bondes (parfois plusieurs). L’expérience et pour certains les notes prises année après année concernant tout un ensemble de repères permettent d’atteindre le bon niveau à l’heure prévue pour le début de la pêche. Les conditions atmosphériques et surtout une pluie abondante dans la nuit précédente peuvent contrarier les plans. Il s’agit là encore d’un véritable savoir-faire qui se transmet de génération en génération. Le débit de l’eau doit être en effet contrôlé en permanence afin que la vidange soit « douce ». Il faut éviter que les poissons ne soient piégés en amont dans des zones mortes ; éviter par un largage trop brutal, le déplacement des sédiments. Il faut aussi « dégriller » régulièrement pour que le débit soit réglé et calé sur le calcul de niveau espéré ; l’opération consiste à dégager les feuilles ou autres éléments qui pourraient obstruer la grille qui filtre l’eau de la bonde, afin d’empêcher des espèces de poissons nuisibles comme les poissons-chats de migrer d’un étang à l’autre. C’est la raison pour laquelle certains encore aujourd’hui n’hésitent pas à passer une partie de la nuit dans leur voiture, à côté de la bonde. Autrefois, on passait systématiquement la nuit dans une cabane autour d’un bon feu ; l’usage perdure sur certains étangs. Car manquer une pêche peut avoir des répercussions sur l’ensemble de la chaîne d’étangs. Ces opérations de vidange se déroulent en général entre le 1er octobre et le 31 mars, pour permettre, après les pêches, le remplissage pendant les mois théoriquement de plus grande pluviosité. - Les us et coutumes Mais chaque année, la concertation entre propriétaires ou de leur bailleur est nécessaire pour éviter le gaspillage de l’eau lors des vidanges. C’est ainsi que le calendrier des pêches d’une ligne d’étangs est établi en obéissant idéalement à une tradition séculaire dite des « us et coutumes » qui veut que l’on pêche en premier l’étang le plus bas dans la chaîne pour finir par l’étang le plus haut, chaque étang récupérant après sa pêche, l’eau de l’étang situé en amont. Une ligne d’étangs est parfois constituée de 5 à 10 étangs, ainsi, si un propriétaire ne contrôle pas la totalité de la chaîne de ses étangs jusqu’à l’amont, ce qui aujourd’hui est fréquent, il doit absolument s’entendre avec son voisin, propriétaire de l’étang au-dessus des siens, sans quoi l’eau d’en haut lui manquera parfois dramatiquement. En effet, les étangs en aval ne bénéficient généralement pas du ruissellement suffisant des prairies versantes alentours, et souffrent souvent d’étés chauds et secs conduisant à l’évaporation d’un volume d’eau allant jusqu’à 25%. Mais, les effets du changement climatique peuvent désormais inciter des propriétaires d’étangs les plus en amont dans la ligne à pêcher plus tôt dans la saison pour bénéficier d’une plus large période de pluviosité. Ceci s’explique par le fait que l’alimentation en eau de ce type d’étang ne provient que du ruissellement des pâturages et landes des versants environnants. Comme les périodes de pluies peuvent aujourd’hui arriver en décalage avec les besoins du cycle de reproduction des poissons (manque d’eau au printemps), le phénomène est malheureusement de plus en plus fréquent. Si donc un propriétaire en amont vide ses étangs avant ceux du dessous, l’eau passera successivement de déversoir en déversoir (les « trop pleins ») avant que cette eau ne finisse dans un ruisseau au creux du bassin versant. Cette eau précieuse sera perdue pour la ligne. Bien évidemment, cela constitue un sujet de préoccupation. Aussi le premier acte d’une pêche réussie se joue toujours dans les bonnes relations qu’entretiennent les propriétaires d’étangs d’une même ligne : le propriétaire de l’étang à pêcher doit pouvoir commencer à « mettre en tire », à vider son étang au moment où il le souhaite. Cette nécessité participe à la singularité de l’environnement social et culturel en Brenne. Le morcellement des grandes propriétés suite à des successions causant l’arrivée de nouveaux propriétaires aux intérêts parfois divergents (par exemple : calendrier de chasse devenu prioritaire comme en Sologne, ou tout simplement ignorance des conséquences du non-respect des règles) met en danger les « us et coutumes ».
