Cycle de reproduction
L’élevage de la carpe domine l’activité piscicole en Brenne. Celui des brochets, des sandres, des gardons, des tanches, et des rares perches est complémentaire. Ces poissons sont destinés, dans leur grande majorité, au rempoissonnement des rivières. La carpe est un poisson omnivore. Son aliment de base est constitué de plancton, vers, larves, crustacés et débris végétaux. Elle vit dans des eaux stagnantes, même peu oxygénées. Comme tous les animaux d’élevage, la carpe a fait l’objet, depuis le début du XXe siècle, d’une sélection en de nombreuses variétés. Cette sélection a porté sur sa vitesse de croissance, la suppression des écailles, et la taille de ses filets. La carpe de Brenne, dite « carpe miroir » ou « carpe royale » est apparue après la première guerre mondiale. De forme haute, elle atteint entre 1,5 kg et 2,5 kg lors d’un cycle de 3 ans, alors que la carpe sauvage ne dépasse guère 1 kg en 4 ans. Le cycle de l’élevage de la carpe se déroule en 5 séquences : - L’alevinage : la Brenne a la chance d’avoir à sa disposition une écloserie (depuis les années 1970). Celle-ci dispose de bassins, petits étangs de faible profondeur (60 cm environ), et de petites surfaces (1 à 2 hectares en général) où la pousse d’herbiers sur lesquels les carpes viendront fixer les œufs, est favorisée. De là, à partir de géniteurs soigneusement sélectionnés, afin d’éviter un appauvrissement génétique de l’espèce, naîtront au printemps des larves qui seront mises en bassins de terre par les producteurs pour y devenir au bout d’un mois des alevins ou « 4 semaines » de 1 gramme environ. - Les alevins seront ensuite répartis dans d’autres bassins (toujours en terre) ou dans de petits étangs afin d’y poursuivre leur croissance. A l’été, ils seront devenus des petites carpes, dite de « 1 été », de quelques centimètres de long et pesant 30 grammes. On les appelle aussi « feuilles » par analogie avec la forme et la taille des feuilles de saules. - Les feuilles sont alors remises à l’eau avec précaution dans un étang plus grand (1 à 10 hectares) et plus profond (1m 60 en moyenne) dénommé étang de grossissement. Ces carpes y passeront leur deuxième été avant d’être pêchées l’hiver suivant sous forme de carpillons de 12 à 14 cm de long et de 200 à 400 grammes. Ces petites carpes sont aussi appelées « nourrains ». Cette dénomination est cette fois très spécifique à la Brenne. Dans la Dombes, on les appelle des « panneaux ». - Les nourrains pêchés sont stockés dans des bassins pour les mettre à l’abri des prédateurs, puis réintroduits en mars dans des étangs plus grands (10 à 100 hectares ou plus). Ils peuvent aussi être relâchés derrière le filet, immédiatement après la pêche, si le remplissage de l’étang est assuré dans un court délai. Le nourrain grossira pendant un troisième été et atteindra lors de la pêche de l’hiver suivant, la taille d’un poisson marchand de 1,5 à 2,5 kg. Ainsi s’achève le cycle de reproduction et de développement de la carpe. Mais celui-ci est l’aboutissement d’un parcours aux multiples dangers. La production de feuilles est une opération à risque. Aujourd’hui, la plupart des feuilles sont faites à partir des larves de l’écloserie dont la production est maîtrisée. Une température d’eau trop faible peut stopper la reproduction. Les carpes ne frayent que dans de l’eau dont la température est au-dessus de 19 degrés. Une sécheresse prolongée peut mettre les herbiers à sec. Enfin des parasites ou des prédateurs peuvent contribuer à un mauvais bilan final. Dans une écloserie comme le centre d’alevinage et de recherche piscicole de Pouligny-Saint-Pierre où l’on sait limiter les risques, 50% environ des œufs fécondés donnent des jeunes poissons contre 10% seulement dans un alevinage traditionnel. Il est courant qu’à partir de 100.000 larves de carpes, seuls 10.000 poissons soient collectés à la dernière étape du cycle de reproduction, soit seulement 10% ! Ceci illustre le côté aléatoire de cette activité pratiquée en milieu naturel dont la maîtrise ne peut être assurée et confirme le côté passionné des acteurs de la filière, qui depuis des générations, acceptent l’incertitude quant à la récolte qu’ils feront lors de la pêche.
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L’alimentation de complément
Dans une pisciculture extensive, l’alimentation des poissons est prioritairement une nourriture naturelle. En étang, le recours au nourrissage dit de « complément » car il n’a pas vocation à se substituer complétement à l’alimentation naturelle, n’est employé que lorsque celle-ci est insuffisante pour assurer une alimentation correcte du poisson dans l’étang et maintenir son apport énergétique en phase avec ses dépenses comme dans toute production animale. Ce nourrissage n’intervient qu’en quantités limitées, et tous les producteurs de Brenne n’y ont pas recours. Cela dépend beaucoup de la géologie des étangs et de leur capacité à produire le phytoplancton nécessaire. Les quantités dispersées dans l’étang et les besoins des poissons sont soigneusement évalués afin d’éviter le gaspillage et des surcoûts de production. C’est aussi un savoir-faire. Le nourrissage complémentaire utilisé dans les étangs de Brenne est généralement composé de céréales concassées, afin de favoriser leur digestibilité essentiellement de maïs, souvent issu d’une production locale. Ce nourrissage peut intervenir à des périodes bien précises, notamment en été lorsque le plancton est insuffisant pour la biomasse présente du fait d’une forte évaporation de l’eau, ou en hiver, lors du stockage en bassin (pauvre en flore) des poissons afin de les protéger de la prédation aviaire lorsque les niveaux d’eau dans les étangs sont encore insuffisants, et avant leur remise dans l’eau d’étangs pleins, au printemps. Dans ce second cas, les besoins alimentaires sont restreints car le poisson est peu actif dans la saison froide. Il s’agit seulement d’assurer sa survie. Cette démarche s’inscrit dans le cadre d’une pisciculture extensive raisonnée pour une production de qualité, par opposition à une pisciculture intensive comme elle se pratique dans certains pays de l’Est de l’Europe qui utilisent abondamment dans l’alimentation des farines animales et des antibiotiques pour lutter contre des virus qui se développent dans des biomasses excessives. Plusieurs méthodes de distribution existent. La plus traditionnelle consiste à lancer naturellement d’un bateau ou des bords de l’étang la nourriture à la pelle. Cette pratique est aujourd’hui fréquemment remplacée par l’usage de nourrisseurs automatiques équipés de programmateur utilisant l’énergie solaire. Il est impératif de contrôler si l’aliment est effectivement consommé là où il est déposé. En effet, avec l’expérience on s’aperçoit que les poissons stressés par les prédateurs sont timides dans leur approche et peuvent, de ce fait, voir leur croissance limitée.

La qualité de l’eau
La qualité de l’eau est un élément important à prendre en compte pour la bonne gestion d’une pisciculture d’étang. Le poisson, selon sa taille, peut se nourrir de phytoplancton (à sa naissance par exemple) et plus tard le zooplancton (ou plancton animal) constitué de crustacés (parfois microscopiques) et de petits organismes en suspension dans l’eau. Le phytoplancton est constitué d’organismes chlorophylliens avec un double rôle : la production d’oxygène par l’effet de la photosynthèse ; la production de matières nutritives consommées par le zooplancton, lui-même consommé par le poisson, l’ensemble formant la structure principale de la chaîne alimentaire de l’étang. Le maintien de la qualité nécessaire en matières minérales assure la production du phytoplancton. Il est donc essentiel de suivre la qualité de l’eau par des contrôles répétés afin de pouvoir intervenir si nécessaire sur sa fertilisation organique, par l’apport de calcium qui favorise toutes les fonctions vitales des organismes, et de phosphore en combinaison avec l’azote qui favorisent le développement du plancton végétal.

L’empoissonnement des étangs
En Brenne, la reproduction des poissons et leur développement s’inscrivent dans un cycle de 3 ans. Le succès du développement et donc la qualité marchande des poissons de Brenne dépend de deux facteurs principaux : - Le contrôle de la qualité de l’eau qui permet l’optimisation de la nourriture naturelle et la maîtrise des quantités apportées en compléments alimentaires. - La maîtrise de la biomasse des poissons à l’hectare à chaque étape du cycle afin que la nourriture naturelle puisse rester dominante. A l’issue de la pêche d’un étang, la « science » du producteur, faite de connaissance et surtout d’expérience, est de savoir réempoissonner ni trop peu, ni pas assez. Pour cela, il devra évaluer son fond de pêche : les poissons « d’un été » passés à travers les mailles du gros filet, la quantité de poissons géniteurs à remettre derrière le filet dans l’espoir de reproduction (brochetons l’hiver suivant) ou de poissons de deux étés (nourrains pour les carpes) qui seront de taille marchande l’année suivante. Parfois pour éviter que son fond de pêche ne soit attaqué par les oiseaux, en particulier les cormorans depuis 15 ans, le pisciculteur avisé stockera ses poissons dans des bassins. Lorsque son étang sera à nouveau en eau, il le repeuplera avec ce stock de poissons. Dans le calcul de ses objectifs de production pour la saison de pêche à venir, le producteur intégrera les données du passé. Certains étangs, par leur configuration (profondeur, exposition au soleil, entre autres), leur flore et leur faune particulières sont plus favorables à certaines variétés de poissons, qu’à d’autres. En effet, pour chacun des d’étangs, il faut rechercher en permanence l’équilibre avec le potentiel de nourriture naturel d’un étang, d’autant que la qualité de cette flore évolue, en particulier avec le rythme des assecs. La maîtrise de ces équilibres est essentielle à la création de valeur d’une exploitation dans la mesure où elle permet de favoriser le développement d’espèces à plus forte valeur ajoutée que la carpe, comme le sandre, le blackbass ou le brochet.
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