Les pêches
La saison des pêches se répète d’année en année puisque les étangs de Brenne sont vidés chaque année afin de récolter le produit de la croissance d’un empoissonnement laissé derrière le filet lors de la saison précédente, ou complété en cours d’année avec de jeunes poissons développés en bassin où il est plus facile de les protéger des prédateurs tels que les cormorans. Ainsi, on récolte des « nourrains » (carpes de « 2 étés ») issus de « feuilles » ou des carpes adultes et marchandes issues de nourrains. Il en est de même avec le gardon « 1 été » devenu gardon marchand, comme de toutes les espèces : brochets, sandres, tanches, perches. Le jour de la pêche, au petit matin, l’étang doit être prêt à être pêché ; c'est-à-dire que le niveau d’eau dans la pêcherie doit rendre possible le passage du premier filet. Celui qui a failli n’est pas à l’abri des railleries de ses camarades condamnés à l’inaction quelques heures sur la digue. Et décaler une pêche n’est pas chose simple. Une pêche en Brenne obéit à un rituel immuable. Au lever du jour, l’exploitant (souvent le propriétaire et son garde ou régisseur en charge de l’exploitation au quotidien), le négociant et son équipe, souvent au nombre de 3-4 personnes selon l’importance de l’étang et donc du nombre de véhicules munis de cuves oxygénées qui sont mobilisés, ainsi que les pêcheurs, généralement bénévoles, dont le nombre varie de 5 à 10 selon les circonstances, se retrouvent dans la cour de l’exploitation ou directement sur la digue devant la pêcherie. Le dispositif nécessaire à la collecte des poissons, de la sortie de l’eau à la mise en cuve, se met alors en place comme un ballet bien rôdé par tous. Les filets en matière synthétique ont remplacé les filets en lin et coton, les tables de tri en plastique ont remplacé les grands plateaux en bois, les caisses en plastique ont remplacé les paniers en osier et les balances électroniques ont remplacé les pesons ; sinon rien n’a changé. Chaque chaussée a une configuration différente, souvent étroite. Il faut donc chercher à positionner au mieux les camions et leurs cuves à proximité de la pêcherie, organiser la fluidité autour de la table de tri et de la balance pour faciliter la circulation des lourdes caisses (30 – 40 kg). La pesée est le moment crucial de la transaction : au sortir de la balance, le poisson devient la propriété et la responsabilité du négociant à un prix convenu à l’avance (généralement au début de la saison de pêche). Toutes les caisses chargées de poissons ne sont pas vendues, un certain nombre d’entre elles sont remises à l’eau derrière le filet ou dans d’autres étangs, ou dans des bassins de l’exploitation, selon un plan de rempoissonnement préétabli en toute entente avec le négociant. Les négociants se livrent volontiers à cet exercice car il est de leurs intérêt conjoint de préparer la prochaine saison avec l’exploitant. C’est ainsi que se sont construites de longues collaborations entre exploitants et négociants ; nul contrat écrit entre eux, seul un accord basé sur la confiance, l’écoute et la fidélité. Les « pêcheurs », difficile de pêcher un étang sans eux. Ils sont le maillon indispensable de la chaîne de la pisciculture à bien des égards : on appelle pêcheurs en Brenne tous ceux qui participent activement à la pêche, qu’ils aident à tirer le filet, qu’ils soient à la filanche (l’épuisette locale), au tri, ou portent les bassines de poisson. Voisins, gardes d’une autre propriété, amis, membres de la famille, ils sont là, au lever du jour, parfois dans le froid ou sous la pluie, pour le plaisir de retrouver des amis, de plaisanter autour de la table de tri ou du traditionnel bouillon de légumes, ou parfois d’un café et de sandwichs à la pause, et à l’issue de la pêche, de partager un repas. Ils savent aussi qu’en contrepartie, ils repartiront avec du poisson et, pour les fidèles de certaines exploitations, qu’ils seront invités à la traditionnelle chasse des pêcheurs quand le domaine s’y prête. Les pêcheurs au nombre de 7 à 15, voire plus selon la taille des étangs, sont majoritairement des hommes, de différentes générations. Il en va ainsi tout au long de la saison de pêches qui s’étend d’octobre à fin janvier. Equipés de cuissardes (ces longues bottes en caoutchouc néoprène qui parfois remontent à la taille), les pêcheurs sont au cœur du dispositif. Sans eux, difficile de pêcher un étang. Ce sont eux qui, équipés de cuissardes (ces longues bottes en caoutchouc néoprène qui parfois remontent à la taille), vont aider à tirer le long et lourd filet autour de la pêcherie : un premier filet à grosses mailles pour laisser les petits poissons passer, éviter leur fatigue et récolter les gros individus comme les carpes, puis un plus petit pour collecter les petits poissons marchands comme les gardons. Il arrive parfois qu’avec pour but le rempoissonnement, on passe un très fin filet qui permet de collecter les « feuilles » ou les gardons « 1 été ». Ce sont les plus jeunes qui portent les caisses du bas des marches de la pêcherie à la table de tri (aujourd’hui pour les grands étangs, les négociants sont équipés de camions-grues pour monter et peser les poissons sortis de l’eau) ; « les anciens », eux, se tiennent en général autour de la table de tri où les espèces sont sélectionnées souvent à main nue avec rapidité et précision avant de rejoindre les caisses ou les seaux qui leur sont attribués. Autour de la table on ne refait pas le monde, mais la dernière bonne blague est la bienvenue. Pour certains, elle a déjà été entendue lors d’une autre pêche, car les bénévoles participent à plusieurs pêches dans la saison, soit parce qu’ils aiment ce moment de partage accompagné du bouillon durant la pause et du déjeuner d’après pêche, soit parce qu’ils apportent leur contribution en retour de services rendus. Parmi les participants à la pêche, certains sont cantonniers, agriculteurs, retraités sans lien avec la pisciculture. Longtemps le pêcheur était rémunéré de sa contribution par du poisson (une carpe) qui allait nourrir sa famille le vendredi suivant. Désormais, sa contrepartie sera un poisson plus noble tel un sandre ou un brochet, en plus d’un bon repas, et parfois d’un morceau de gibier qu’il rapportera de la chasse organisée dans les bois qui cernent les étangs où il est invité régulièrement une à deux fois par an. Mais tous les étangs ne sont pas situés sur un territoire de chasse au gros gibier. Encore de nos jours, sauf exception, la présence des pêcheurs est motivée par l’esprit d’entraide des exploitants entre eux, des agriculteurs voisins à titre de remerciement, par exemple pour la possibilité d’abreuvage de leurs bêtes sur les étangs l’été. Cette communauté faite de professionnels, de gardes, de régisseurs, et de bénévoles est une des grandes singularités de la Brenne. Elle se perpétue de siècle en siècle même si les contreparties ont changé de registre et si le rapport à l’exploitant s’est modifié, en passant d’une « récompense » en poisson, à celui entre autres de partager le plaisir de chasser ensemble. C’est l’existence même de cette communauté construite autour de la pisciculture qui est le gage du maintien de la société brennouse et de sa transmission.
Les pêcheurs
Lorsque l’étang a fini d’être vidé (il faut parfois plusieurs jours, voire plusieurs semaines pour les plus grands), les poissons sont « stockés » de facto dans la pêcherie. D’une profondeur moyenne de 1m50, elle reste en eau durant toute la pêche laquelle durera entre une demi-journée pour les plus petits étangs et plusieurs jours pour les plus grands. La pêche se déroulera au rythme du passage des filets autour de la pêcherie. Il s’agit en général de filets de 50 m de long, sur 2,50 m de hauteur, plombés sur leur bordure inférieure afin de le maintenir au sol pour l’empêcher de flotter et d’éviter ainsi que le poisson ne s’échappe, et soutenus sur sa bordure supérieure par des flotteurs. Le filet est tiré aux pourtours de la pêcherie par des hommes (5 à 10 répartis autour du filet) munis de cuissardes en caoutchouc avec de l’eau jusqu’aux genoux. Il est ensuite ramené, en le tirant lentement et avec force vers la pêcherie. Le filet est alors resserré et tenu verticalement grâce à des « piquettes » de senne qui empêchent les poissons de sauter par-dessus. A l’origine, les filets étaient en coton. Ils sont désormais en matière synthétique ce qui leur assure une durée de vie supérieure ; de même pour les flotteurs qui étaient en liège. Mouillés, ils pèsent environ 80/100 kg, et il faut plusieurs personnes pour assurer leur manipulation. Lors d’une pêche classique, on passe en général 2 ou 3 filets de tailles différentes. Celles-ci varient de 60 mm pour les mailles les plus larges à 10 mm pour les plus petites. On procède toujours par ordre décroissant : Le 60 mm permet de retirer dans le filet les carpes d’environ 2,5 kg, les brochets de taille adulte (3 à 8 kg), les blackbass, les sandres, et les grosses tanches. Durant cette opération, les poissons de plus petite taille peuvent s’échapper à travers les mailles du filet sans stress et sans risque de s’abîmer. Le passage du 18 au 20 mm intervient après une pause « bouillon » (ou café accompagné de madeleines ou sandwiches) en milieu de pêche afin précisément de retenir les gardons, les nourrains, les brochetons (aussi appelés « sifflets » en raison de leur forme) et les petites tanches. Le 10 mm est généralement passé pour collecter le fond de pêche lorsque l’étang doit être mis en assec pour une année.
Les outils de la pêche
Les outils de la pêche d’étang en Brenne ont très peu changé ; l’évolution que l’on peut constater est essentiellement due à l’évolution des matériaux avec lesquels ils sont désormais fabriqués, et à l’évolution des moyens et conditions de transport du poisson vivant qui a pu être optimisé à travers le temps.
Les outils appartiennent la plupart du temps aux pêcheurs-négociants, parfois aux producteurs. Mais seules les plus grosses exploitations de plus de 100 hectares disposent de leur propre matériel.
Les filets
Lorsque l’étang a fini d’être vidé (il faut parfois plusieurs jours, voire plusieurs semaines pour les plus grands), les poissons sont « stockés » de facto dans la pêcherie. D’une profondeur moyenne de 1m50, elle reste en eau durant toute la pêche laquelle durera entre une demi-journée pour les plus petits étangs et plusieurs jours pour les plus grands. La pêche se déroulera au rythme du passage des filets autour de la pêcherie. Il s’agit en général de filets de 50 m de long, sur 2,50 m de hauteur, plombés sur leur bordure inférieure afin de le maintenir au sol pour l’empêcher de flotter et d’éviter ainsi que le poisson ne s’échappe, et soutenus sur sa bordure supérieure par des flotteurs. Le filet est tiré aux pourtours de la pêcherie par des hommes (5 à 10 répartis autour du filet) munis de cuissardes en caoutchouc avec de l’eau jusqu’aux genoux. Il est ensuite ramené, en le tirant lentement et avec force vers la pêcherie. Le filet est alors resserré et tenu verticalement grâce à des « piquettes » de senne qui empêchent les poissons de sauter par-dessus. A l’origine, les filets étaient en coton. Ils sont désormais en matière synthétique ce qui leur assure une durée de vie supérieure ; de même pour les flotteurs qui étaient en liège. Mouillés, ils pèsent environ 80/100 kg, et il faut plusieurs personnes pour assurer leur manipulation. Lors d’une pêche classique, on passe en général 2 ou 3 filets de tailles différentes. Celles-ci varient de 60 mm pour les mailles les plus larges à 10 mm pour les plus petites. On procède toujours par ordre décroissant : Le 60 mm permet de retirer dans le filet les carpes d’environ 2,5 kg, les brochets de taille adulte (3 à 8 kg), les blackbass, les sandres, et les grosses tanches. Durant cette opération, les poissons de plus petite taille peuvent s’échapper à travers les mailles du filet sans stress et sans risque de s’abîmer. Le passage du 18 au 20 mm intervient après une pause « bouillon » (ou café accompagné de madeleines ou sandwiches) en milieu de pêche afin précisément de retenir les gardons, les nourrains, les brochetons (aussi appelés « sifflets » en raison de leur forme) et les petites tanches. Le 10 mm est généralement passé pour collecter le fond de pêche lorsque l’étang doit être mis en assec pour une année.
Les aérateurs
Le resserrement du filet dans la pêcherie conduit à regrouper parfois plusieurs tonnes de poissons dans la poche du filet. Cette opération peut fatiguer le poisson, surtout les petits, du fait d’un soudain déficit d’oxygène lié en général à la grande densité passagère de poissons et à une chaleur ambiante excessive. C’est en partie pour éviter cette situation que le calendrier des pêches s’inscrit traditionnellement entre octobre et janvier, les mois froids. Dans le passé, pour pallier le manque d’oxygène, les pêcheurs se contentaient de battre énergiquement l’eau autour du filet, mais le tonnage était considérablement moins important. Désormais, l’utilisation « d’aérateurs » plus efficaces s’impose et se généralise. Il s’agit d’appareils branchés sur un petit générateur (malheureusement bruyant) qui fonctionnent tel un jet d’eau à proximité du filet.
Les caisses
Au XIXe siècle, on utilisait des paniers allongés en osier car le bois était rare sur place, puis avec l’accès au bois d’autres régions, les caisses (on les appelle aussi les « bassines ») en bois sont apparues. Ces caisses, désormais en plastique, sont trouées en de multiples points pour que l’eau s’évacue rapidement au maximum, et tarées afin qu’au passage sur la balance, seul s’affiche le poids du poisson sorti de l’eau. Autrefois, les caisses en bois avaient l’inconvénient de gonfler et de n’être pas toujours au même poids selon leur état. Le plastique a solutionné ce point.
La table de tri
A l’origine, le poisson était trié sur ce qu’on appelait une « paillasse », sorte de plan horizontal constitué de couches de paille sur lesquels était posée une bâche autour de laquelle les hommes et mais aussi les femmes alors souvent en charge du tri se tenaient de longues heures à genou. Dans l’entre-deux guerres a été introduite la table de tri autour de laquelle on se tient debout. D’abord en bois posée sur deux tréteaux, elle est désormais aussi en plastique, avec des angles arrondis qui évitent de blesser le poisson.
Les balances
La pesée est une des composantes majeures de la chaîne de traitement qui va de l’eau au camion. Les caisses, après la sortie des poissons triés de la table, sont pesées par espèce (carpes, nourrains, gardons, tanches, perches) sous l’œil attentif du producteur qui tient un décompte précis, caisse par caisse, duquel résultera le bon de facturation établi en fin de pêche avec le pêcheur négociant, en confiance. Le prix de vente par espèce à la sortie de l’étang est convenu à l’avance, généralement en début de saison. Les prix malgré la concurrence entre les négociants sont généralement quasi alignés. Avec le temps, les pesées se sont faites successivement avec : - Des pesons - Des balances à bascules - Et actuellement des balances électroniques. Dans le cadre de la pêche des grands étangs, la mécanisation a conduit à charger le poisson depuis le niveau de la pêcherie (essentiellement des carpes) dans de gros containers qui sont soulevés à l’aide d’un camion grue. Au bout de la grue est disposé un peson électronique. Ces containers remplis pèsent de 200 à 250 Kg. Ils sont directement vidés dans les cuves des camions.
Pour le transport
Comme le pêcheur breton investit dans son bateau (chalutier ou sardinier), le pêcheur-négociant de Brenne investit aujourd’hui dans un ou plusieurs camions ou remorques équipé(s) de cuves. Ces cuves sont remplies d’eau et d’oxygène libérée en permanence, afin de permettre de transporter dans les meilleures conditions le poisson sorti de l’étang jusqu’à des bassins d’eau claire (parfois distants de plusieurs kilomètres) où il sera stocké quelques jours avant qu’un acheteur ne vienne en prendre livraison. Longtemps, le transport du poisson vivant se faisait sur des charrettes, où parfois le poisson était juste posé sur de la paille mouillée. Au Moyen Age, ces « voitures » livraient le poisson vivant (les carpes se montraient très résistantes) à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde (Poitiers, Châteauroux, Loches et peut-être Tours). Plus récemment, dans l’entre-deux-guerres, les charrettes équipées de cuves, emportaient le poisson vivant jusqu’au train où des wagons équipés assurait le transport jusqu’à Paris et même jusqu’aux confins de l’Allemagne.
La filanche
La filanche est un outil constitué en général d’un cadre demi-circulaire, autrefois en bois et désormais le plus souvent en aluminium, sur lequel est fixé un filet formant épuisette, sans manche. Il permet de collecter le poisson retenu dans le filet (qu’on a généralement resserré pour circonscrire la zone de pêche), que l’on vide dans des caisses que des hommes monteront par les marches de d’accès à la chaussée jusqu’à la table de tri, puis à la bascule. L’utilisation de cet instrument requiert un remarquable coup de main et de l’expérience. Il s’agit, en effet, de faire dans l’eau de la pêcherie une « pré-sélection » des espèces qui sont collectées et vidées dans les caisses afin de simplifier les tris sur table. Le préposé à la filanche, équipé de cuissardes, s’immerge jusqu’à la taille. En plongeant la filanche à divers niveaux, au premier filet, il sait prendre les carpes en haut, et sans poissons-chats qui se trouvent plus bas si par malheur il y en a. Mais au second, pour pêcher le petit poisson, la tâche est d’une grande difficulté, il doit parvenir à trier les différentes espèces que se trouvent à différents niveaux de l’eau. La complication peut venir de la température de l’eau. Quand l’eau est relativement chaude, la séparation des espèces se fait clairement. Lorsqu’elle est froide, les espèces se mélangent, et dans cette situation, l’expérience de celui qui est à la filanche est primordiale, mal puiser pourrait entraîner de vraies difficultés sur la table de tri. Seuls quelques-uns sont reconnus pour avoir ce talent. Au fil des années, ceux qui sont dans l’eau à la filanche et les porteurs qui remontent les bacs remplis de carpes sur la chaussée deviennent trieurs quand leur âge et leurs forces ne leur permettent plus d’assurer ces tâches épuisantes. Chaque poste requiert une attention particulière : le pêcheur doit tirer le filet à la bonne vitesse et à la bonne profondeur ; les porteurs, doivent acheminer les caisses sans secousse et horizontalement malgré leur poids et malgré la hauteur des marches souvent glissantes de la pêcherie ; les trieurs doivent identifier les poissons, les sélectionner, les jeter dans la bassine appropriée et écarter sans pitié les poissons chats ou autres nuisibles. Tout le monde y est attentif dans la bonne humeur.